« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » (Jn 15, 1-8)
Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus ne dit pas « je suis le cep – le tronc – et vous êtes les branches » Il dit : « je suis la vigne » : pas seulement le tronc, mais le tronc et les branches. Nous comprenons que le Christ Jésus ne conçoit pas qu’il puisse exister sans les hommes ; il n’imagine pas qu’il soit le fils bien aimé sans que nous, les baptisés, soyons nous-mêmes des fils bien aimés.
Toutes les branches de la vigne sont solidaires entre elles. Elles reçoivent la même sève, et chaque feuille capte le soleil au bénéfice de toute la plante. C’est pourquoi l’abbé Pierre disait que toute sa vie était gouvernée par trois mots : « Et les autres ? »
Prédication du père Louis Groslambert pour le cinquième dimanche de Pâques
« Je suis la vigne ». Dans l’Ancien Testament, la vigne c’était le peuple ; l’envoi des prophètes, la sortie d’Égypte… tout manifestait que Dieu soignait sa vigne, qu’il prenait soin de ce peuple amoureusement et il en attendait de beaux fruits. Mais il ne récoltait qu’un jus plein d’amertume (l’infidélité, l’idolâtrie, les injustices). Par différence, Jésus se présente comme la vraie vigne qui, enfin, donne de bons fruits ; il réalise les fruits que Dieu attend de son peuple.
Quatre pensées me sont venues. D’abord, j’ai constaté que Jésus ne dit pas « je suis le cep – le tronc – et vous êtes les branches » Il dit : « je suis la vigne » : pas seulement le tronc, mais le tronc et les branches. Frères et sœurs, nous comprenons que le Christ Jésus ne conçoit pas qu’il puisse exister sans les hommes ; il n’imagine pas qu’il soit le fils bien aimé sans que nous, les baptisés, soyons nous-mêmes des fils bien aimés ; il n’imagine pas qu’il traverse la mort sans que nous la traversions avec lui ; il n’imagine pas avoir le Saint Esprit si nous ne l’avons pas ! Saint Paul dit « nous sommes co-héritiers avec le Christ ; tout ce qui est à lui est à nous… » Le Christ n’est pas seulement le cep, il est la vigne. Comme il exclut d’exister sans nous, de même, il exclut que nous existions sans lui ; que serions-nous si nous n’avions pas la lumière de sa parole ? Serions-nous portés à prier, à pardonner, à payer de notre personne, si sa sève ne circulait pas en nous pour nous vivifier ? Je parle du Christ Ressuscité comme d’une sève puisqu’il demeure en nous par son Esprit et qu’il demeure dans l’Église. Comme disait Jeanne d’Arc, le Christ et l’Église, c’est tout un. « Demeurez en moi, je demeure en vous ».
Une autre pensée m’est venue ; c’est que toutes les branches de la vigne sont solidaires entre elles. Elles reçoivent la même sève, et chaque feuille capte le soleil au bénéfice de toute la plante. Nous comprenons qu’un chrétien ne peut pas penser sur le mode individualiste : « mon Dieu et moi » ; le chrétien doit penser sur le mode universel « moi, Dieu et les frères ». « Nous sommes le corps du Christ ». La manière de vérifier que nous sommes en communion avec Dieu, c’est de vérifier que nous sommes en communion avec les frères. C’est pourquoi l’abbé Pierre disait que toute sa vie était gouvernée par trois mots : « Et les autres ? » Tu as à manger ; et les autres… pense à eux ? Tu as un toit ; et les autres… pense à eux ? Parce que les autres sont indispensables à tout ami de Jésus, la 1ère lecture racontait comment, après sa conversion, Paul a dû trouver place dans la communauté et pourquoi la communauté a dû accueillir Paul. Voilà pourquoi l’Église dit l’exigence d’appartenir à une communauté et de la rejoindre au moins le dimanche. Et aussi pourquoi le devoir des chrétiens est d’accueillir les nouveaux baptisés, de leur faire une place parmi eux, de les aider à valoriser leur charisme, c’est-à-dire à porter du fruit.
Justement, à propos du fruit : Les grappes ne poussent pas sur le cep, mais sur les branches fixées au cep. Le rôle des branches est de porter les grappes. Par 5 fois, Jésus dit le devoir de porter du fruit. C’est heureusement impossible de savoir quels fruits chacun porte. Heureusement, car si nous savions les fruits que nous produisons, nous nous les attribuerions orgueilleusement. Il est mieux d’avouer qu’ils viennent de la sève qu’est le Christ Ressuscité. Mais, une chose est sûre, c’est que nous porterons des fruits plus sûrement si nous les portons à plusieurs. Dans le Livre des Nombres chapitre 13, on dit que les émissaires envoyés pour vérifier que la Terre Promise était bien une terre où coulent le lait et le miel, sont revenus avec une grappe de raisin si grosse qu’il fallait être 2 pour la porter. C’est loin d’être une emphase marseillaise. L’enfant est un fruit qui ne peut être porté que par un papa et une maman ; et l’évangélisation est un fruit qui ne peut être porté que par des communautés : le service des autres dans une société du chacun pour soi, la lutte pour une plus juste répartition des biens, l’effort pour dire que Dieu s’intéresse à la vie de chacun… : tous ces fruits ne peuvent être portés qu’à plusieurs.
Enfin, si le vigneron ne taille pas sa vigne, elle portera plus de feuilles que de raisin. Alors il la taille. Quand la vigne est taillée, elle pleure. Nous pensons aux personnes qui veulent porter le fruit de l’évangile (la fidélité, la réconciliation, la justice) et qui pleurent parce qu’elles sont mal reçues, comme tous les prophètes ont pleuré. Mais nous pensons aussi à ce refrain que nous chantions : « ceux qui sèment dans les larmes, moissonnent en chantant » ; ou, comme dit saint Paul, les douleurs du monde sont des douleurs d’enfantement. Pour porter du fruit, vivons en communion avec le Christ qui a lui-même pleuré des larmes de sang et qui a produit le fruit le plus précieux, la victoire sur la mort !