« Tous recevront la vie, en premier le Christ, et ensuite ceux qui lui appartiennent »
(1 Co 15, 23)
Chers amis,
Notre frère Alain, Philippe Taillard a remis son souffle à Dieu, dans une vive espérance en la résurrection, à l’infirmerie du monastère, alors que nous célébrions les Laudes de l’ Assomption, ce jeudi 15 août.
Il est né le 30 mai 1938 à Tulle (Corrèze), dans une famille de quatre enfants. Son père était ingénieur. A l’âge de 5 ans, Philippe fait la rude expérience de la maladie qui, avec des épisodes ultérieurs, le marquera durablement. Alors que la famille émigre pour Epinay sur Seine, il commence sa scolarité. Il la poursuit au lycée d’Enghien puis à celui de Montmorency. Durant cette période, il connait la Pierre-qui-Vire. Après deux années d’études supérieures en sciences expérimentales et en lettres, à Enghien puis à la Sorbonne à Paris, il entre au monastère en septembre 1959.
Il commence le noviciat sous le nom de Frère Alain et fait profession temporaire le 26 janvier 1961. Après les deux années de philosophie, il accomplit son service militaire. Le 5 juin 1964, il fait profession solennelle et commence les études de théologie. Ordonné diacre en 1966, il ne souhaite pas ensuite être prêtre. Il poursuit entre 1968 et 1970 des études de philosophie moderne à Chantilly chez les Jésuites. Dès 1971, il commence à enseigner au studium théologique de l’abbaye. En 1975-1976, il travaille en philosophie et théologie à Tübingen (Allemagne) en milieu protestant. Ses activités au monastère sont principalement consacrées à l’enseignement jusqu’en 2006. Il est aussi prieur de 1985 à 1992, bibliothécaire de 1990 à 1997, sous-maître de 1999 à 2003, chargé de la formation permanente de 2000 à 2006.
De 2006 à 2022, il rejoint la communauté de Chauveroche et lui donne pleinement sa vocation œcuménique dans le diocèse de Belfort-Montbéliard. Grâce à son expérience du dialogue avec les Églises protestantes et à sa connaissance théologique, il anime un atelier œcuménique et propose des conférences et sessions diverses. Il est un libraire éclairé et exigeant. Alors que peu à peu les frères laissent la place à la communauté de laïcs qui leur succède, il est le dernier à quitter les lieux et sa sagesse contribue à l’enracinement du nouveau projet.
F. Alain était habité par le désir de rendre la foi chrétienne davantage en dialogue avec notre monde contemporain. La récente publication de son livre : « Rendre compte de la foi aujourd’hui », se présente comme son testament intellectuel. Fort de belles convictions monastiques, fidèle dans les relations d’amitié, il était toujours en éveil avec ses questions, parfois dérangeantes. Sa paralysie soudaine en décembre 2023 n’a fait que renforcer son désir de rejoindre le Royaume de Dieu.
Nous confierons notre frère à la Miséricorde de Dieu, au cours de l’eucharistie : ce samedi 17 août à 11 heures.
Il sera inhumé dans le cimetière du monastère à la suite de la célébration.
Père Luc CORNUAU, Abbé
Homélie du père abbé pour les obsèques de frère Alain
Témoignages :
Si vous aussi souhaitez communiquer un témoignage sur le frère Alain, vous pouvez nous écrire à l’adresse : communication@diocesebm.fr
Témoignage de Ruth Umber
C’est avec émotion que j’ai appris le décès de frère Alain. Et en même temps je rends grâce à Dieu pour les échanges riches et bénéfiques vécues au cours des dernières années. Que ce soit en entretien privé ou lors de rencontres œcuménique, frère Alain pesait chacun de ses mots et par là approfondissait nos réflexions. Ayant participé à de nombreuses sessions œcuméniques à Chauveroche, sur quatre jours, et membre du groupe protestant-catholique qui se réunit à Étueffont, j’ai mesuré à quel point le contact fraternel avec frère Alain m’a permis de progresser. Il y avait aussi de l’humour lorsque frère Alain me disait: “Je suis bien plus luthérien que les protestants eux-mêmes!”
Témoignage de Marie-Christine Michau
Protestante concernée depuis longtemps par les dialogues œcuméniques, je voudrais témoigner de l’apport de frère Alain en œcuménisme et de l’enrichissement que sa rencontre a apporté à mes conceptions théologiques et à mes engagements locaux, nationaux et internationaux qui ont été nourris par les riches moments de prière, de travail, d’échanges et de débats vécus à Chauveroche. J’ai participé au groupe théologique de Chauveroche dès sa création en 2007, à un certain nombre de retraites œcuméniques et à des samedis bibliques avec frère Alain. Avec lui, j’ai animé un groupe biblique œcuménique qui regroupe des participants du Nord du Territoire de Belfort. Nous avons fait des interventions conjointes dans les commissions œcuméniques du Pays de Montbéliard et de l’Est. La librairie a été la source de bien des découvertes.
Un lieu privilégié d’échanges a été le « groupe théologique de Chauveroche » qui continue à se réunir très régulièrement, environ une dizaine de fois par an, depuis 17 ans. Il a eu comme membres des frères : frère Alain et frère Basile, bien sûr, mais aussi les frères Servan, Germain, Raphaël, Cyprien, Vincent, Yvan… Les pasteurs de la région, dont les inspecteurs ecclésiastiques, n’y ont pas manqué. Quelques laïcs catholiques ou protestants sont des fidèles dans ces débats. L’évêque Dominique Blanchet y a participé jusqu’à son départ pour Créteil. Des prêtres l’ont rejoint. Le groupe se penche sur des sujets œcuméniques très divers, suscitant l’intérêt toujours renouvelé des catholiques et des protestants. Nous avons beaucoup partagé autour des questions posées par le Conseil œcuménique des Églises et, en particulier, Foi et constitution, et des questions autour de la synodalité et des ministères. Nous avons lu des textes fondamentaux de nos Églises, de la Confession d’Augsbourg à Vatican II, mais aussi des interpellations du XXI° siècle et des textes d’accords. Nous avons participé à de nombreuses célébrations œcuméniques, à une lecture continue de la Bible, à la présentation de l’exposition « La Bible, patrimoine de l’humanité », à la réalisation d’une exposition sur l’histoire de l’œcuménisme au Pays de Montbéliard. Frère Alain était un membre éminent de ce groupe!
C’est autour de Jésus-Christ que Frère Alain nous a invités à approfondir une question fondamentale en œcuménisme : « Qu’est-ce qui est essentiel pour moi dans ma propre tradition ? Qu’est-ce qui me fascine ou me rebute dans la tradition de l’autre ? » et que nous nous sommes reconnus comme frères et sœurs.
Témoignage d’Éric Veith
“J’ai vécu avec le frère Alain une relation d’amitié où chacun cherchait à permettre à l’autre d’exister comme sujet, c’est à dire en gardant une liberté de parole qui avait soif de la parole de l’autre, dans un grand respect.
Fr Alain m’a conseillé beaucoup d’auteurs dont les écrits m’ont marqué, en particulier Jean Zumstein, André Wenin et Gherard Ebeling, mais il a aussi acheté pour la librairie des livres que lui avais recommandés. Fr Alain avait des formulations au vocabulaire ciselé que je trouvais très percutantes. En voici deux qu’il m’a souvent citées :
“l’être n’est pas d’abord « ce qui est » (id quod est, disait Thomas d’Aquin), mais « ce qui advient dans la relation ». (On n’oppose donc plus l’être et le devenir. Et le devenir n’est pas de soi une imperfection, car il est aussi ce qui advient dans une relation de liberté à liberté. )” pour lui un changement dans la philosophie qui devait faire évoluer la théologie.
“Faire alliance, c’est reconnaître que nous ne savons pas ce que nous deviendrons (et ce non-savoir est précieux), mais que nous désirons le devenir ensemble !”
Témoignage d’Andrée Balandier
C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris que Frère Alain avait vécu sa Pâque ce jour de l’Assomption de Marie.
Nous garderons le souvenir de son immense culture et de son humanité. À la librairie et à la commission œcuménique, il a été apprécié de tous.
Il est à présent dans la paix et vit auprès de Celui qu’il a aimé et servi toute sa vie.
Nous serons en communion avec lui car il est présent dans nos prières.
Interview de frère Alain
Frère Alain, interviewé par Michaël Dégardin le 1 décembre 2022 avant de quitter Chauveroche pour son retour à la Pierre-qui-Vire, faisait le point sur son parcours de vie :