« Ils disent et ne font pas » (Mt 23, 1-12)
Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus reconnait que ceux qui sont pleins de vanité peuvent parler de Dieu avec compétence : il dit en effet : « ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le ». Autrement dit, Jésus approuve l’enseignement des pharisiens. Mais il leur reproche de ne pas pratiquer ce qu’ils enseignent : « ils disent et ne font pas ». Il nous questionne sur notre rapport au pouvoir et à la fraternité.
Prédication du père Louis Groslambert pour le trente-et-unième dimanche du temps ordinaire
Toute société est hiérarchisée et il est indispensable que l’on puisse s’adresser aux responsables en disant « madame la présidente, monsieur le maire, mon capitaine… » Mais il y a des gens qui revendiquent d’être des références : ils se font appeler « Führer, Caudillo, Duce, Grand Timonier, père des peuples, guru »… Est-ce indispensable pour une société que des humains revendiquent que tout citoyen pense comme eux, ait les mêmes objectifs qu’eux ? Si je comprends bien Jésus, non seulement ce n’est pas indispensable, mais c’est néfaste. En effet, il dit clairement : « ne donnez à personne le nom de père » Qu’est-ce qu’il a voulu censurer en donnant ce conseil ? Sûrement pas la joie des enfants de dire « papa » ! A-t-il voulu supprimer toute hiérarchie et de toute autorité ?
Il a voulu dénoncer ce qui tord les relations, à savoir la vanité, la prétention de quelque homme à être au-dessus des autres, à être à la place de Dieu. Ceci est suggéré par Saint Matthieu qui écrit d’abord « tous vous êtes frères » et après seulement, «car vous n’avez qu’un seul père, celui qui est au cieux ». Entre les hommes, il ne peut y avoir que des relations de frère à frère. Et celui qui a une fonction de père de famille, de président, d’évêque, de curé… doit avant tout être fraternel. Le prêtre peut se laisser appeler « Père » s’il a un cœur fraternel ; et les paroissiens n’hésitent pas à l’appeler Père s’ils constatent qu’il est fraternel.
Hélas, dans l’Église, la vanité a été présente et elle reste présente, puisque les chrétiens ont, comme les autres, ce péché originel qui maintient les costumes, les titres, les préséances, et pire que tout, les abus d’autorité.
Mais revenons au texte de saint Matthieu. Jésus reconnait que ceux qui sont pleins de vanité peuvent parler de Dieu avec compétence : il dit en effet : « ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le ». Autrement dit, Jésus approuve l’enseignement des pharisiens. Mais il leur reproche de ne pas pratiquer ce qu’ils enseignent : « ils disent et ne font pas ». C’est vrai, il nous faut bien reconnaître que dans nos vies, comme dans la vie des pharisiens, il n’y a pas d’accord parfait entre ce que nous disons et ce que nous pratiquons.
Plus encore, Jésus reproche à toute personne qui a de l’autorité de « mettre des fardeaux sur le dos des autres », d’exiger des autres ce qu’ils ne font pas eux-mêmes, d’être très exigeants pour les autres et d’être très tolérants pour eux-mêmes. Est-ce que nous échappons à ce travers? Ne serions-nous pas réellement fraternels si nous déchargions les autres de leur fardeau et si nous étions plus exigeants pour nous que pour les autres ?
« Vous êtes tous frères » dit Jésus. Nous reconnaissons les premiers mots de l’encyclique du pape François : Fratelli tutti. La République française a mis la fraternité dans sa devise. Très bien. Mais sur quoi la République fonde-t-elle la fraternité ? Elle ne le dit pas. Dans la famille de Dieu, la base de la fraternité, c’est Dieu qui est père de tous. Et nous qui avons trouvé que la loi de Dieu était la meilleure pour nous et pour la société, nous pouvons craindre que, quand la société chasse Dieu, elle prive la fraternité de toute base, de toute justification.
Parce qu’il révèle le Père de tous, Jésus – qui est le plus grand – ne s’est pas fait appeler « Duce, grand timonier » ; il s’est fait le serviteur de tous. Il a dit cette parole émouvante : « mon corps livré pour vous ». Que cette parole descende jusqu’au plus profond ! Qu’elle nous conduise à nous demander : ce que nous faisons pour l’église, ou pour tel groupe… le faisons-nous pour offrir de l’amour ou pour nous faire applaudir, pour qu’on dise du bien de nous ? Est-ce que notre service de Dieu et des autres est chimiquement pur de toute volonté d’être mis en valeur, d’être admiré… ou d’avoir un pouvoir ? Demandons d’être sauvés de cette prétention tout à fait stupide. Mettons sur nos lèvres quelques phrases du psaume qui sont parfaitement vraies dans la bouche de notre Maître : « Je n’ai pas le cœur fier, je n’ai pas le regard ambitieux »